La Tragédie digitale, ou l’utilité de l’examen digito-rectal en traumatologie

Merci à Dr. Nickson et son post sur Lifeinthefastlane pour l’inspiration. Merci à un(e) artiste inconnu du XIe siècle pour l’image d’illustration.


Le toucher rectal en traumatologie fait souvent parler de lui – qu’en faut-il le faire ? qui doit le faire ?  A-t-il une utilité ? (..) Tant de questions qui nous titillent littéralement le. A travers cet article, nous allons tenter de revoir un peu le dogme du TR (Toucher Rectal), ou examen digito-rectal, afin de déterminer une fois pour toute ce qu’il en est.

En théorie, le TR permet l’identification :

  • D’une hémorragie rectale
  • D’une lacération de la muqueuse ou défaut de la paroi rectale
  • D’une perte du tonus sphinctérien (suggestif d’un problème au niveau du rachis)
  • D’une fracture du bassin palpable, ou d’un hématome
  • D’une prostate déplacée (souvent vers le haut) suggestif d’un lésion urétrale postérieur
  • D’une hémorragie intrapéritonéale ou d’une rupture de viscus

En pratique, le TR est associé a :

  • Un stress émotionnel et une sensation désagréable pour le/la patient(e)
  • Un risque de violence verbale ou physique par un patient agite, avec un risque de plaintes
  • Un risque infectieux pour le patient mais également le personnel (ex. lésion du bassin avec fragment osseux et risque de contamination)
  • Un potentiel pour empirer les lésions présente
  • Des faux positifs et faux négatifs

En réalité, le TR, c’est beaucoup de faux négatifs :

  • 63% pour une diminution du tonus sphinctérien
  • 94% pour la présence de sang
  • 67% pour une lacération de la muqueuse ou défaut de la paroi rectale
  • 100% pour la palpation de fragments osseux
  • 80% pour une position anormale de la prostate

(Shlamovitz et al 2007)

Et ces faux négatifs peuvent mener à manquer des diagnostique (morbidité/mortalité), des délais de prise en charge/interventions, des investigations inutiles ou non-effectuées (pensez mobilisation d’un CT dans un centre d’urgence plein, radiations, etc.), et une hospitalisation/surveillance (prolongée) inutile. De plus, si l’on retrouve une pathologie jusqu’à 6% seront ensuite démontré comme étant un faux-positif (Esposito et al 2005)

Alors pourquoi tant de faux négatifs ?

  • Régulièrement effectue par jeune médecins
  • Les résultats positifs sont rares
  • La douleur et une mauvaise coopération peuvent rendre le test difficile
  • Une prostate haute peut être cachée par une hématome secondaire a une fracture pelvienne ou lésions vasculaire (par ex.)
  • Il n’existe pas de réel standard – l’interprétation de chacun diffère (même chez les « experts » urologues/proctologues, une variation inter-observateur existe pour le même patient lors de la détection d’une prostate pathologique)

 

Prenons les 3 grands diagnostique :

Lésion urétrale postérieure

60% des lésions présentent avec une clinique normale. Ceci se traduit en sensibilité :

  • Sang au mea : 20%
  • Macrohématurie avec insertion de la Sonde Vésicale (SV) : 17%
  • Prostate malposition au TR : 2%
  • Ecchymose scrotale ou périanal : inconnu
  • Rétention urinaire : inconnu

En pratique, les recommandations sont les suivantes :

  • Considérer une lésion urétrale postérieur si une fracture pelvienne est présente (association a 95%)
  • À considérer si présence d’hématurie lors de l’insertion de la sonde urinaire ou en cas d’insertion avec résistance/difficulté

-> Ad urétrogramme rétrograde pour confirmer – l’ATLS recommande un urétrogramme avant en cas de suspicion mais ceci n’est probablement pas indispensable si la SV rentre sans résistance.

Lésion du rachis

Un tonus sphinctérien normal n’exclue pas une lésion de la moelle (sensitivité 37%, likehood ratio de test négatif 0.5-0.66), alors qu’un test positif se révèle plus utile, avec association a une lésion du rachis de l’ordre de (likelihood ratio 6.8-8.5).

En pratique, ne pas oublier que chez un patient intube/ayant reçu un curare et ou de hautes doses de sédatif chez l’inconscient, ou chez un patient avec trauma cérébrale, le TR n’apportera pas grand-chose et rendra la prise en charge plus longue (si en plus il y a une ceinture pelvienne).

Si néanmoins des lésions neurologiques sont présentent, ne pas oublier de déterminer la sensibilité avec le tonus anal (sacral-sparing) : si le tonus anal est rendu difficile par manque de coopération, le reflex bulbocaverneux ou bulboclitoridien est une alternative utile. Et documenter le tout pour une évolution en cas de simple choc spinal.

Lésion intestinale

Le TR est 98.9% spécifique pour une lésion intestinale (hémorragie rectale détectée, LR 5.2) et 99.8% spécifique pour une lésion de la paroi rectale (LR 996). Un TR négatif ne peut pas être utiliser pour exclure ce type de lésion (6% sensitive, soit LR de -0.95 pour une lésion intestinale, et 33% sensitive pour une lésion de la paroi rectale, soit LR -.065)

…le sort du toucher rectal est entre vos mains..


Mais alors quand doit-on pratiquer un toucher rectal en Traumatologie ?

  • Lors d’une fracture pelvienne
  • Lors d’un status neurologique anormal
  • Lors d’hypotension
  • Lors de trauma abdominal pénétrant ou trauma périanal avec possible lésion rectale ou GI
  • Lors de douleurs abdominales

Néanmoins, si vous allez dans tous les cas procéder a d’autres examens, un TR n’est probablement pas indiqué.

CAVE : un TR ne devrait pas être pratiquer si l’examen neurologique est normal, le patient a <65 ans ou il n’y a pas de sang au mea (0-0.8% taux de faux négatifs).

 


Bibliographie

  • Nickson C. Digital Rectal Exam (DRE) in Trauma. 2015. Lifeinthefastlane.com
  • Ball CG, Jafri SM, Kirkpatrick AW, Rajani RR, Rozycki GS, Feliciano DV, Wyrzykowski AD. Traumatic urethral injuries: does the digital rectal examination really help us? Injury. 2009 Sep;40(9):984-6. Epub 2009 Jun 16. PMID: 19535063.
  • Esposito TJ, Ingraham A, Luchette FA, Sears BW, Santaniello JM, Davis KA, Poulakidas SJ, Gamelli RL. Reasons to omit digital rectal exam in trauma patients: no fingers, no rectum, no useful additional information. J Trauma. 2005 Dec;59(6):1314-9.  PMID: 16394903.
  • Guldner G, Babbitt J, Boulton M, O’Callaghan T, Feleke R, Hargrove J. Deferral of the rectal examination in blunt trauma patients: a clinical decision rule. Acad Emerg Med. 2004 Jun;11(6):635-41. PMID: 15175201.
  • Guldner GT, Brzenski AB. The sensitivity and specificity of the digital rectal examination for detecting spinal cord injury in adult patients with blunt trauma. Am J Emerg Med. 2006 Jan;24(1):113-7. PMID: 16338517.
  • Kortbeek JB, et al. Advanced trauma life support, 8th edition, the evidence for change. J Trauma. 2008 Jun;64(6):1638-50. Review.PMID: 18545134.
  • Porter JM, Ursic CM. Digital rectal examination for trauma: does every patient need one? Am Surg. 2001 May;67(5):438-41. PMID: 11379644.
  • Shlamovitz GZ, Mower WR, Bergman J, Crisp J, DeVore HK, Hardy D, Sargent M, Shroff SD, Snyder E, Morgan MT. Poor test characteristics for the digital rectal examination in trauma patients. Ann Emerg Med. 2007 Jul;50(1):25-33, 33.e1. Epub 2007 Mar 27. PMID: 17391807.

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