Vous voilà maintenant experts de la gestion non-invasive des voies aériennes aux Urgences, et malgré vos manœuvres, le tube pointe son nez. Comme vous le savez désormais, c’est un geste qu’il faut préparer: l’intubation ne sera un succès que si vous, votre equipe et surtout votre patient sont prêts. Après une relecture de la partie 1, vous vous sentez d’attaque !
Je vous propose de revoir ensemble « the final count-down ».
Prédire l’intubation difficile
L’état clinique de votre patient se péjore, et donc votre intubation est nécessaire. Le premier mot d’ordre est que toute intubation aux Urgences est une intubation compliquée. Il est donc important pour le médecin de contempler la situation globalement, d’évaluer toutes les possibilités, de percevoir ses limites et occasionnellement de délayer le geste jusqu’à ce qu’un confrère sachant gérer une intubation vigile (par exemple) puisse arriver (1). Afin d’identifier un potentiel obstacle, il est donc recommandé de procéder à une évaluation, avec (par exemple) le score LEMON (2) : Look, Evaluate, Mallampati, Obstruction, Neck mobility. Dans la langue de Molière, cela nous donnerait : MORCE
Mallampati | Selon le score (cf. ci-dessous) |
Obstruction | Exemple : obèse, macroglossie, etc. |
Regarder | Examen externe : signe de traumatisme pénétrant, etc. |
Cou | Cervicarthrose, mobilité de la nuque, etc. |
Évaluer (règle de 3-3-2) | Ouverture de bouche >3 doigts Distance menton-hyoïde >3 doigts Distance hyoïde-cartilage thyroïdien >2 doigts |
CAVE : Cette évaluation peut intereferer avec (entre autre) la pré-oxygénation de votre patient (tout particulièrement le Mallampati, qui nécessite que le patient ouvre la bouche, chose difficile et délétère si le patient est sous VNI…) et doit donc etre fait precautionneusement. Notons par ailleurs qu’en période COVID, nous avons retiré le Mallampati de l’évaluation, en vue du risque infectieux.
Time for a checklist
Tel un pilote en cockpit stérile, le moment est venu de se preparer au geste. Pendant que votre patient recoit sa preoxygenation, associez-vous à un collègue (infirmier, par exemple), qui sera votre bras pour les prochaines étapes. Malgré un débat récent (émanent d’une publication en 2020 de Turner et al (3) dont la validité a été remise en question), la plupart des centres d’urgence intra- et préhospitalier preconisent l’utilisation d’une checklist afin de s’assurer que ce geste, qui se veut par definition complique (aux Urgences), soit effectue dans les meilleures conditions possible.
Plusieurs exemples de checklist existent et l’idee suit toujours la logique du cockpit steriel : chaque point est lu a l’oral puis valide par l’autre avec un simple check. Je vous propose de revoir ensemble un exemple de checklist que j’ai développé il y a 3 ans, en période hors COVID. Le format est simple : question-réponse. Pour chaque point, vous vérifiez avec votre « co-pilote » que le point est validé avant de passer au prochain point.
Notons ici que le cockpit stérile est réservé aux deux premières colonnes ainsi qu’a la derniere colonne ; le briefing d’équipe doit etre ouvert a tous afin que l’ensemble de l’équipe puisse etre informe de ce qui se passe, ce qui va se passer, et ce qui se passera si tout ne se passe pas comme prevu.
Quelques points importants : Préparation
- Accès au & position du patient optimisée
Normalement, si vous avez suivi l’approche decritre dans la partie 1 de ce post, votre patient sera déjà dans une position optimisée (pour la pré-oxygénation), mais si ce n’est pas le cas, now is the time to do it ! Plus votre positionnement (du patient) sera optimale, plus l’intubation aura de chance de bien se derouler. Ceci vaut particulièrement chez les patient obèses chez qui le « sniffing » doit être optimisé (oreille au même niveau que l’angle sternal), ou encore lorsque la tête du patient est surélevée (rampe), ce qui améliorera votre vision (4–8). La position du sniffing et du ramping sont illustres dans les Figures 2 et 3.
- Pré-oxygénation
Fervent défenseur de l’oxygénation apnéique, je ne rentrerai pas de nouveau dans ce débat (voir partie 1), et recommande systématiquement O2 15L aux lunettes en plus d’un BAVU/VNI etc., avec lunettes à garder lors du geste (afin de favoriser l’oxygénation apnéique par diffusion, tout comme nos confrères du Difficult Airway Society (4)).
- Indice de choc
Voir « Correction de l’hypotension » dans la première partie de notre discussion, et choix de l’inducteur, ci-dessous.
Quelques points importants : Équipement
- Vidéolaryngoscopie
La vidéolarynogoscopie a révolutionné l’intubation dans des situations difficiles. Ce constat, je l’ai entendu maintes et maintes fois, mais en réalité qu’en est-il ? Une grosse méta-analyse de 2018 à tenter de revoir l’évidence, via les 5 plus grandes RCT, avec hormis une réduction du nombre d’intubation œsophagienne (en faveur du VL), pas de grande différence. Sans rentrer dans trop de détails, il faut retenir quelques petites particularités à cette étude, notamment le personnel effectuant le geste (anesthésiste versus urgentiste), mais également le matériel utilisé (plusieurs modèles différents de VL = not all VLs are created equal). Dans tous les cas, en vue de cette RCT et de l’étude sur le mandrin long (voir ci-dessous), notre choix a été fait, et le VL fait desormais partie de notre arsenal.
Un petit addendum à noter : une discussion récente avec des collègues anesthésistes, mais également urgentistes préhospitaliers, révèle que la nouvelle génération de médecin apprend en premier lieu à intuber par VL (par défaut). Ceci n’est pas recommandable : en effet, il est important d’apprendre à connaitre et gérer les deux outils (VL et Macintosh), car ceci donne l’option d’un backup en cas de probleme « technique ». C’est d’ailleurs pour cela que dans la checklist, sous « Verification Equipement », les deux sont sorti et teste.
- La bougie, ou mandrin long
L’introduction du mandrin court il y a (déjà) quelques temps a été une excellente nouvelle, et cette option est toujours valable dans certaines situations (notamment lorsque l’espace pour l’intubateur est limitée), mais tout comme la méthode Seldinger, il faut savoir évoluer avec son temps, et désormais, le mandrin long (de type S-Guide) est a preferer au mandrin court. Son utilisation est simple mais necessite une courte formation, l’intubation se faisant en deux étapes : induction -> laryngoscopie avec visualisation des cords -> passage du mandrin long par l’assistant aux voies aerienness -> passage du mandrin long entre les cordes -> l’assistant peut alors glisse rle tube sur le mandrin long -> des que le mandrin long sort de l’embout du tube, l’assistant récupère le mandrin et averti l’intubateur qui lache alors le mandrin et glisse le tube, toujours sous visuel -> une fois passe les cordes, l’assistant retire alors le mandrin avec l’intubateur maintenant le tube en position, sous contrôle visuel. et l’intubateur glisse le tube sur le mandrin jusqu’à son contrôle visuel. Cette méthode, qui prend un peu d’entrainements, a permis de réduire dans notre hôpital, le nombre d’échec d’intubation, et à augmenter la synergie entre intubateur-assistant aux VAS. Elle fait desormais office de standard dans notre service.
Pour un peu plus à ce sujet, je vous laisse lire le papier par Driver et al. de 2018 paru dans JAMA (9). Selim Rezaie le resume dans la figure ci-dessous ci-desosus d’apprécier le tableau récapitulatif par S Rezaie (ci-dessous).
- Kit de Cricothyroïdotomie
Savoir ou est son matériel, c’est 20% du travail. L’avoir sorti et preparé, c’est encore 20% de gagné. L’avoir vu maintes et maintes fois et savoir s’en servir, c’est encore 50% de gagné. Dés lors, nous demandons systématiquement à notre binôme de sortir le kit et de l’avoir sous la main avant de procéder à l’intubation. Ceci va de même pour les adjuncts (Wendl et Geudel) mais également pour le Masque Laryngé.
Quelques points importants : Briefing Équipe
Désormais sorti de votre cockpit stérile, vous vous adressez à l’ensemble de votre équipe en désignant :
- Assistant aux VAS
Se tenant a votre droite, cette personne devra connaitre l’équipement et la séquence pour vous le donner. Idéalement, cette personne aura été votre copilote lors du reste de la checklist.
- Stabilisateur du rachis
Un constat simple : pas tout le monde ne sait maintenir un axe, surtout lorsque ceci est fait durant une iontubation. Il vous faudra donc une personne qui connait le geste, et dont le rôle exclusif sera de tenir le rachis cervical. Cette personne se placera au dessus du patient, en face de vous (dans le sens du patient), et positionnera ses avant-bras sur le thorax et clavicules (si possible). Attention à ce que votre scope ne soit pas masqué !
- Administrateur des médicaments
Votre correction de l’hypotension et le temps passé à tenter de stabiliser votre patient vous aura donné une certaine familiarité avec votre patient et son statut hémodynamique, et désormais vous serez apte à choisir un inducteur approprié. Malgré des débats sans fin, dont un récemment sur un médicament qui m’est cher, la Kétamine (10) il n’existe pas de drogue parfaite pour l’induction. Que vous soyez un fan de Propofol (qui n’est que tres peu utilise pour l’induction aux Urgences), de Midazolam, d’Etomidate ou de Kétamine, le choix dépendra de votre appréciation clinique et pharmacologique, et de vos habitudes. Pour les curares, malgré un débat sur la désaturation associé à la Succinylcholine (11,12), a moins de n’avoir une expérience suffisante ou encore l’antidote (Sugammadex), il est probable que vous optiez pour la Succinylcholine. Dans tous les cas, now is the time pour désigner la personne en charge de l’administration des différentes drogues. Discuter ensemble des dosages, de la sequence d’administration, du timing, et de potentiels vasopresseur, mais également de vos drogues de maintien, afin que votre pompe de propofol (par exemple) soit déjà branchée et que votre curare de maintien (si besoin) soit prêt à être injecté après que le tube soit passé.
- Plan B et C.
Situational awareness. Le terme resume bien la situation, et il vous faudra a ce stade informer l’ensemble de votre équipe des problemes anticipes, comment les résoudre si retrouvés. Ensemble, vous serez plus prêt à répondre aux inconnus. Que ce soit un repositionnement, un changement de matériel, une reprise au BAVU/VNI, la pose d’un masque laryngé, ou une cricothyroïdotomie (en dernière instance), il vous faudra avant chaque geste, discuter du plan A, B et C.
Quelques points importants : Post-Intubation
C’est bon : le tube est entre les cordes vocales. Is it all over ? Pas si vite… il y a plusieurs choses à faire, et cette dernière colonne vous aidera à cocher les cases. Notons particulièrement la température (chute de 1 degré/30 min lorsque le patient est curarisé) et la protection oculaire avec Vitamine A (pas un luxe !). Ce n’est pas parce que vous êtes aux Urgences qu’il faut bâcler les choses !
Une petite note sur l’Urgence 0
Nous ne sommes pas tous egaux face au tube, et certaines pathologies necessite une reaction (tres) rapide. A la facon de « l’Urgence 0 », le stridor dans le cadre d’une anaphylaxie ou encore une brulure avec inhalation necessite un tube, and fast. Pour cela, il est recommande de developper une checklist abregée.
CAVE : Comme vous l’avez désormais compris en relisant part 1, l’intubation lors d’un ACR n’est pas une Urgence 0 et des alternatives au tube existes (notemment le BAVU au ML) qui auront un effet tout autant (voir plus) bénéfique (13). En vue de leur rapidite de pose, vous pourrez alors vous focaliser sur les 5H/5T plus rapidemenet.
Checklist : conclusion
Enfin, malgré un débat sur les checklists (3), celle-ci ne remplace en rien votre experience. Le role (de ces checklists) est de maximiser vos chances.L’intubation aux Urgences reste dans tous les cas un geste complexe, effectué pour un patient critique ; savoir intuber dans des conditions plus simples (ex. bloc operatoire) vous facilitera la tache le préhospitalier ou aux Urgences.
Plus vous seraient prêt, plus vous pourrez prendre votre temps pour :
- Trouver la luette
- Avancer progressivement le long de la langue jusqu’à visualiser l’épiglotte
- Continuer à progresser doucement jusqu’à ce que l’extrémité votre lame se trouve dans la vallécule
- Effectuer une pression (soit vers les pieds du patient, soit vers le haut, selon votre laryngoscopie) +/- manipulation externe du larynx pour visualiser les cordes vocales, et vous assurer qu’elle sont ‘ouverte » afin de faciliter le passage du tube de facon la moins traumatique possible
- Demander à votre assistant aux Voies Aériennes de vous passer le mandrin long, et, sans quitter l’écran de vos yeux (ou les cordes de vos yeux, si laryngoscopie directe), passer le mandrin a travers les cordes (sur le S-Guide : jusqu’à ce que la ligne noir soit passee)
- Sans lâcher des yeux ou de la main, demander à votre assistant de glisser le tube sur le mandrin long, et tel un Seldinger, de récupérer le mandrin long une fois qu’il ressort de l’autre cote du tube.
- Glisser le tube sur le mandrin jusqu’à le voir passer entre les cordes (entre les 2 lignes noir), et, toujours sous contrôle visuel, de demander à votre assistant de retirer le mandrin long, en maintenant le tube en place.
- Une fois le mandrin sorti, et que vous êtes certains que votre tube n’a pas bougé, de retirer le laryngoscope.
- Noter la position (en règle générale, arcade dentaire supérieur à droite), d’insuffle le ballonnet et ventiler en auscultant et observant la courbe CO2 (que vous aurez déjà branche lors de votre checklist).
- Fixer fixer le tube, et le brancher à votre ventilateur
- Proceder à votre checklist post/intubation.
Et voilà, normalement, si tout s’est bien passe, votre patient est intubé. Maintenant, il vous faut le transférer (rapidement) afin de libérer votre déchoc pour le prochain patient. A bon entendeur bien évidement!
Citer le post : E P Heymann. « La gestion des voies aériennes aux Urgences ». ABCmed blog. 11 Fevrier 2021. Disponible sur https://www.abcmed.ch/gestion-vas-urgences-partie-2/ |
Bibliographie
1. Apfelbaum JL, Hagberg CA, Caplan RA, Blitt CD, Connis RT, Nickinovich DG, et al. Practice guidelines for management of the difficult airway: an updated report by the American Society of Anesthesiologists Task Force on Management of the Difficult Airway. Anesthesiology. 2013 Feb;118(2):251–70.
2. Reed MJ, Dunn MJG, McKeown DW. Can an airway assessment score predict difficulty at intubation in the emergency department? Emerg Med J. 2005;22(2):99–102.
3. Turner JS, Bucca AW, Propst SL, Ellender TJ, Sarmiento EJ, Menard LM, et al. Association of Checklist Use in Endotracheal Intubation With Clinically Important Outcomes: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA Netw Open. 2020 Jul 2;3(7):e209278–e209278.
4. Frerk C, Mitchell VS, McNarry AF, Mendonca C, Bhagrath R, Patel A, et al. Difficult Airway Society 2015 guidelines for management of unanticipated difficult intubation in adults. Br J Anaesth. 2015 Dec;115(6):827–48.
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6. Khandelwal N, Khorsand S, Mitchell SH, Joffe AM. Head-Elevated Patient Positioning Decreases Complications of Emergent Tracheal Intubation in the Ward and Intensive Care Unit. Anesth Analg. 2016 Apr;122(4):1101–7.
7. Boyce JR, Ness T, Castroman P, Gleysteen JJ. A preliminary study of the optimal anesthesia positioning for the morbidly obese patient. Obes Surg. 2003 Feb;13(1):4–9.
8. Lee BJ, Kang JM, Kim DO. Laryngeal exposure during laryngoscopy is better in the 25 degrees back-up position than in the supine position. Br J Anaesth. 2007 Oct;99(4):581–6.
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10. Mohr NM, Pape SG, Runde D, Kaji AH, Walls RM, Brown CA. Etomidate Use Is Associated With Less Hypotension Than Ketamine for Emergency Department Sepsis Intubations: A NEAR Cohort Study. Acad Emerg Med Off J Soc Acad Emerg Med. 2020 Nov;27(11):1140–9.
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