Agitation aux Urgences: une revue pour le clinicien

Quelle que soit votre profession, si vous travaillez aux Urgences, vous aurez surement déjà été confronté à des menaces ou une agression verbale. Statistique peu rassurante, environ 40% d’entre nous auront au cours de notre carrière eu affaire à une agression physique de la part de patient. Je vais tenter de revoir avec vous ici les causes d’agitation fréquemment vu aux urgences, et partager avec vous une approche à ces patients, et vous présenter un nouveau principe : le code blanc.

Un grand merci à nos collègues FOAM du monde entier pour l’inspiration, en particulier Dr Brit Long et Dr Michael Gottlieb pour leur post sur emDOCs, et également à mentalfloss.com pour l’illustration du fameux film « The Shining ».


 

D’étiologie variée, environ 5-10% des patients présente une forme d’agitation aux Urgences (qu’elle soit d’origine médicale, traumatique, psychiatrique ou encore induite (médicament, sevrage ou abus d’autre substances), l’agitation peut rapidement mener à des violences : la quasi-totalité d’entre nous aura été menace/agressé verbalement durant notre carrière, et plus inquiétant, environ 40% d’entre nous auront eu affaire a de l’agression physique (Elie et al, Al Salawi et al, Hustey et al, Nordstrom et al). L’objectif en tant que soignant est dès lors ancré sur deux axes :

  1. Identifier l’étiologie
  2. Désamorcer la situation

En pratique, les deux sont entremêlés, et il vous faudra souvent identifier l’étiologie tout en désamorçant la situation.

 

Identifier l’étiologie

Un zèbre est un zèbre, et j’entends déjà certains d’entre vous dire « aux Urgences, la cause principale est l’intoxication a l’alcool et/ou a d’autres substances ». Bien évidemment, vous avez raison (Wilber et al, Takeuchi et al), mais il existe d’autres cause, allant de la psychose au sevrage médicamenteux (Han et al, New et al).

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Différentiel de l’agitation aux Urgences. Source : emDocs Cases: ED Approach to Agitation.

 La première question des lors à se poser est : suis-je face à un delirium ou un delirium excite. Le delirium est définit comme étant un trouble de la concentration, cognition et/ou état de conscience, pouvant fluctuer. Environ 25% des personnes âgées aux Urgences présente un degré de delirium, et avec un taux de mortalité approchant le 33%, il est important de réagir vite (Inouye et al., Pompei et al, New et al, Wilbert et al). Généralement hypoactif, il peut devenir hyperactif, agite, voir même comateux (dans les deux extrêmes, hypoactif et hyperactif). 1/3 des patients déments présente une forme d’agitation +/- difficulté de suivre des ordres simples. Lorsque le patient devient agité (confusion, peur, agressif, violent, hyperactif), le delirium devient alors excite, et peut rapidement devenir hyperthermique. La mortalité en préhospitalier est fulgurante pour ce type de patient, avec certaines études rapportant un décès chez 2/3 de ces patients avant l’arrivée aux Urgences (Inouye et al, Pompei et al, Newton et al)

L’anamnèse, c’est 90% du travail, et cela de soit avec le l’agitation (Caplan et al): prenez en compte tous les acteurs (équipe préhospitaliere, famille, témoins, soignants à domicile, etc.) y compris le patient (cave : sedation et anamnèse !), avec un focus sur des facteurs exacerbant/stress, antécédents de violence, antécédents psychiatrique, voyage récent, trauma, status immun, cancer, antécédents neurologique, dépendances (etc.) qui pourraient vous donner des indices. Prenez soin de vous renseigner sur l’idéologie du patient, le risque suicidaire, mais également les éléments de paranoïa et signes de mania.

Votre examen clinique quant à lui devra rapidement exclure un état de choc, ainsi qu’une hypoglycémie, un déficit neurologique ou encore des signes de sepsis. L’équipe de emDocs résume parfaitement les signes et symptômes suggestif d’une étiologie.

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Signes et symptômes évoquant l’étiologie du delirium. Source : emDocs Cases: ED Approach to Agitation.

Votre arsenal d’investigations paracliniques inclura bien évidement l’ECG, les test laboratoires (ne pas oubliez les CK, tests hépatique, éthanol et TSH). Certaines études recommandent également un CT cérébral natif pour exclure une lésion intracrânienne (New et al, Han et al, Wilber et al, mais nous ne sommes pas aux USA, et des lors j’argumenterais pour un CT avec contraste si et seulement si la clinique l’indique ou est peu claire.

Désamorcer la situation

L’approche au patient agité aux Urgences représente un danger potentiel pour plusieurs acteurs, à savoir :

  • Le personnel des Urgences
  • Le patient agité
  • Les autres patients

Il est dès lors important d’avoir une approche protocolaire avec des standards établis afin de minimiser les risques pour les acteurs mentionnes ci-dessus. Une revue exhaustive de littérature disponible m’a permis de mettre en place une façon d’aborder tout patient présentant un delirium et/ou une agitation aux Urgences. Bien évidemment, ce n’est qu’une stratégie parmi tant d’autres mais elle fonctionne pour nous et c’est cela qui compte – à adapter donc selon votre service/activité.

·       Sécurité sécurité sécurité

Je ne le répèterais pas assez. Il est vital, comme pour toute situation dans votre vie, de faire une analyse des risques avant même d’approcher le patient. Je le répète a régulièrement à mes collègues en préhospitalier, mais la situation est identique en intrahospitalier : un tour (même rapide) de la situation, avec la création mentale d’un plan de sortie/évacuation est clé. Ne tournez jamais le dos a un individu potentiellement agite, conservez votre calme, et gardez toujours la sortie de votre côté (ne JAMAIS se positionné de sorte à ce que le patient soit entre vous et la porte de sortie) – la situation peut rapidement évoluer pour le pire et votre sécurité est la priorité numéro 1.

·       Intervention non-pharmacologique

Un lieu calme, sans distraction, avec si possible de la lumière naturelle aidera à calmer la plupart des patients. Un repas, de l’eau (éviter café et autre stimulants), ainsi qu’une couverture chaude sont également utile dans votre arsenal. Écouter est le mot clé ici, et le patient aura surement beaucoup de choses à vous dire ; nos collègues infirmiers ont beaucoup à nous apprendre dans ce secteur. Prenez votre temps, et le patient vous récompensera probablement en acceptant de prendre des médicaments PO si le besoin persiste. Je vous laisse vous référer à la publication de Janet Richmond et al. pour de très bonne idée et une bonne revue du thème.

·       Intervention pharmacologique

Malheureusement, de temps à autre, il est nécessaire d’avoir recours à des médicaments pour calmer le patient. Il faut dès lors aborder les choses sous un angle diffèrent, en se posant les questions suivantes :

  1. Le patient accepte-t-il une prise PO ?
  2. Si non, avez-vous un accès veineux ? Si non, se préparer à une dosage IM
  3. Avez-vous le personnel nécessaire à assurer votre sécurité et retenir le patient dans le cas où il deviendra agressif ? -> CODE BLANC

Actuellement la littérature préconise un usage PO en vue d’une efficacité similaire au traitement IV et IM – il existe d’ailleurs des médicament dissolvable dans l’eau. Le schéma ci-dessous résume la stratégie.

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Prise en charge de l’agitation aux Urgences. Source: moi

 

\Pour ce qui est des médicaments utilisé ici, notons simplement :

  • Le midazolam (PO/IM/IV/PR/IN) est plus rapide (13-18 min avant effet maximal) à agir que le lorazepam (PO/IV/IM) (32 min), mais est plus court d’action (82-105 min vs. 217 min) (Isenberg et al). Le midazolam est également plus « agressif » et nécessite plus souvent que d’autres benzodiazépine un traitement par antagoniste pour reverser les effets indésirable (stupeur, coma, etc.) (Martel et al). Le mot d’ordre est de monitorer son patient dans tous les cas.
  • L’halopéridol et le dropéridol (antipsychotiques première génération) sont traditionnellement associe à un prolongement du QT – ceci expliquerais d’ailleurs la quasi-disparition du Dropéridol aux USA, alors que la réalité semble être que la molécule probablement bien mieux tolérée et moins cardiotoxique que l’Halopéridol (Calver et al, Streyer R) – il est dès lors important d’avoir un monitoring et un ECG dès que le patient est calme. Attention également aux effets extrapyramidaux (qui peuvent être contrôlé avec un anticholinergique (la diphenhydramine ou encore le pramipexole, par exemple – CAVE : le glycopyrrulate ne fonctionne pas car ne traverse pas la barrière hémato-encéphalique)
  • La kétamine, un favori de l’auteur, porte également des risques, et doit être utilise avec prudence pour ceux qui ne savent pas gérer les voies aériennes : effet en 2-3 min, avec une durée d’action jusqu’à 30 min, elle est un superbe médicament à avoir si l’on dispose en plus d’un perfuseur, car les effets se dissipent relativement rapidement. L’utilisation est limite pour les schizophrènes car pouvant péjorer l’état d’agitation mais peut être utilise à court terme (avec 1-2mg de midazolam IV), en attendant un traitement plus performant (avec l’aide de votre équipe psy.).

A noter : je n’utilise actuellement pas d’antipsychotique deuxième génération parce que leur usage est limité dans plusieurs des centres ou j’ai travaillé. En vue de leur profil amélioré vis à vis du profil de sedation (Wright et al), des effets secondaire (New et al, Breir et al, Cole et al, Martel et al), et de la meilleure tolérance par le patient (Karrow et al), on pourrait potentiellement inclure l’olanzapine (parmi tant d’autres). A noter que le dosage d’olanzapine ne varie pas selon PO/IM/IV : 5-10mg (avec 40mg max. 24h00).

·       Intervention physique

Votre équipe, le patient ou d’autres patient sont en danger à cause d’un patient agressif et non-coopératif ? Il est l’heure d’activer un CODE BLANC.

Nécessaire :

  • Personnel : 5 personnes au minimum, 1 par membre + 1 pour la tète
  • Matériel :  masque a O2 pour le patient, masque/gants/lunette de protection pour le personnel + matériel de contention + médicaments à injecter
  • Procédure : briefing avant de rentrer dans le box/aller vers patient (ce qui se passe/ce que nous allons faire/les risques et surtout consentement de tous les membres et attestation qu’ils ont compris) – ceci est une situation pouvant escalader rapidement donc il vous faut des personnes en très bonne condition non gravide, idéalement la police/sécurité. Idéalement, les personnes les plus fortes ont toutes la responsabilité d’un membre, avec la 5e personne responsable de la tête. L’objectif est de d’abord d’approcher le patient en lui demandant de coopérer. Si celui-ci refuse, chaque personne doit alors en équipe approcher le patient et lui retenir un membre, puis l’allonger sur le lit. La personne en charge de la tête aura également comme première responsabilité de mettre le masque a oxygène sur le visage du patient afin d’empêcher toute projection de crachat, mais également d’injecter le médicament (une 6e personne peut être utilise, si vous en avez les ressources). Une fois le patient alite et retenu, le matériel de contention peut être appose. Un monitoring avec EtCO2 +/- oxygène doit également être applique, et une perfusion peut être débuté. Pas de contention physique sans contention médicamenteuse !

Cette procédure s’apparente à une mission SWAT ou encore policière mais elle fonctionne : nous l’utilisons depuis plusieurs années dans certains centres. Deux conditions sont néanmoins nécessaires :

  1. Le patient refuse de coopérer et représente un danger réel
  2. La situation lui est expliqué et une demande est faite de coopérer.

N’oubliez pas de documenter tout ce que vous avez fait. Il va de soi que ceci est une mesure extrême limitée a certain cas, mais tout à fait envisageable si la situation ne peut pas être contrôlée autrement et le danger existe. Je vous invite à consulter vos guidelines nationales et locaux/hospitalier, ainsi que de tout documenter correctement. L’objectif n’est jamais de faire du mal au patient, mais plutôt de prévenir.

N’oublier pas de discuter avec votre patient. Une fois contentionné, l’objectif secondaire est de décontentioner progressivement, et réévaluer votre patient.

Un autre exemple de Code Blanc trouvé dans la littérature (ou l’olanzapine est d’ailleurs utilisé) est le protocole des urgences de l’hôpital Neuchâtelois, qui suit les mêmes idées du protocole ci-dessus, avec quelques différences, à savoir:

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Departement des Urgences (Hopital Neuchatelois): Code Blanc. Source: Saillant et al.

Cas particulier : pédiatrie et grossesse.

5% des consultations pédiatriques sont liée a des crises psychiatrique et comportementale, et peuvent également rapidement devenir dangereuse (Grupp-Phelan et al). N’oubliez pas que l’élément déclencheur peut être un membre de la famille présent avec l’enfant lors de l’agitation – dans ce cas il est primordial de faire sortir cet élément, sinon la famille doit rester et être informe de tout ce qui se/va se passer. Comme pour les adultes, débuter par une tentative de médicament PO. Les benzodiazépines fonctionnent bien et sont même recommande mais il faut faire attention à l’agitation paradoxale chez les enfants présentant un retard de développement. L’olanzapine est actuellement recommande, avec une liste d’effets indésirable minime ; à administrer avec un anticholinergique de type diphenhydramine (Cole et al).

Pour les femmes enceintes, particulièrement celle avec un antécédent de maladie psychiatrique (la grossesse peut péjorer l’état psychiatrique), l’utilisation de la risperidone est adapté, sans effet tératogène. L’halopéridol et les benzodiazépines sont tératogènes, tout comme l’acide valproique, la carbamazépine, et le lithium au premier trimestre. Si une contention physique est nécessaire, n’oubliez pas votre décubitus dorsolatéral gauche (!VCI)

 

Conclusion

Un thème difficile à aborder qui comprend de la clinique et teste votre côté humain – n’hésitez pas à commenter sur vos expériences et réactions, ça fera pour une discussion intéressante.


 

Bibliographie

Brit Long, Michael Gottlieb. emDocs Cases: ED Approach to Agitation. Disponible sur http://www.emdocs.net/emdocs-cases-ed-approach-agitation/. Dernier accès le 07.05.2018.

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