7h15 du matin. Le tableau affiche des urgences pleines à craquer. Armé d’un café dans une main, et de courage dans l’autre, tu rentres dans le bureau des médecins, ou tes collègues, gris, pales, mal rasés, et occasionnellement malodorants, t’accueillent avec un « celui-là va bien, celui-là va en chir’, celui-là je ne sais pas, et celui-là c’est du social » et quittent rapidement les lieux, dans l’espoir d’attraper le train de 7h30…
Situation vécue pour beaucoup d’entre nous, je pense qu’il est grand temps d’aborder la transmission médicale, mieux connu sous le terme de Handover, de façon EBM. Un grand merci à Dr. Chris Hicks et a sa présentation lors de la dernière Emergency Medicine Updates conférence pour l’inspiration ainsi qu’à Biomedical Ephemera et les National Archives pour l’illustration.
Comme pour toute science, le dogme règne en médecine, et le « on a toujours fait comme ça » s’applique malheureusement également à la transmission des cas. Qu’elles soient matinales, en mi-journées, ou avant la garde de nuit, il existe certains éléments clés identiques à toutes ces transmissions de cas qui ont étés identifiés par des études et sur lesquels nous autres, médecins, devrions nous focaliser pour améliorer la prise en charge de nos patients.
Trouver un lieu approprié et le « cockpit stérile »
Les afficionados d’aviation le savent: le concept de « cockpit stérile » est nécessaire pour la réduction d’erreur et les interruptions sont responsables de fautes et d’inattention. Le cockpit stérile est d’ailleurs une des obligations dans le code d’aviation civile américain ainsi qu’à la NASA (1). Certains de nos collègues infirmiers reconnaissent ceci et l’appliquent lors de l’administration de médicaments (2) et nous avons tendance à le voir de plus en plus appliqué lors d’opérations mais également en salle de déchoc/réa (3). Saviez-vous qu’un médecin urgentiste est interrompu en moyenne 6.6 fois par heure, et que dans 18% des cas, le médecin ne retourne pas à sa tache pré-interruption (4) ?
Il est donc important de trouver un lieu approprié, dans le meilleur des cas une salle de colloque dédiée, calme, où la porte peut se fermer et où il y a suffisamment de chaises pour que tout le monde puisse être assis confortablement et discuter ouvertement. Les téléphones/bip restent allumés pour des situations graves, mais il est important que le reste de l’équipe (infirmier, services, physio etc.) soit informé que ces 15-20 minutes sont une période ou seul l’appel important est acceptable (nous faisons d’ailleurs régulièrement de la pub pour ça via un email à TOUT le staff hospitalier).
Dans un hôpital universitaire où j’ai travaillé il y a quelques temps, la salle était configurée comme ci-dessous:
Alors oui, c’est très bien, mais pourquoi vous montrer ceci ? Et bien, c’est simple : aucune chaise n’était attitrée sauf celle du PC, qui appartenait au cadre de la garde suivante. Pourquoi me direz-vous? Tout d’abord, parce que cela démocratise la chose et chacun est égal face à une prochaine garde (aux oubliettes, ces règles hiérarchiques poussiéreuses), mais également car ceci permet au médecin cadre d’annoter le dossier médical électronique (si vous en avez un) avec une note en résumé rapide (ex : COPD décompensé, labo/microbio en attente, CT : EP exclue. Ad étage dès que investigations complétées) – tout le monde y compris le personnel médical saura des lors que le patient a été transmis mais aura également un résumé rapide de la prise en charge.
Nota Bene : la table au centre est présente pour 2 raisons : 1) elle permet d’être utilisée comme support d’écriture pour ceux qui en ont besoin (mais cela ne devrais pas être le cas durant une remise) et 2) car la salle peut être ensuite reconvertie pour une salle de colloque autre.
Membres de l’équipe présents au rapport
Qui doit être présent ? En effet, est-ce vraiment utile pour des physios, des infirmières, la femme de ménage, d’être présents à ce colloque. La réponse est non pour 2 raisons: premièrement parce que cela augmenterait la surcharge d’informations inutiles (voir ci-dessous), mais également parce que chacune de ces professions a son propre colloque avant (d’où l’importance d’effectuer les changements de garde à différents moments pour les différentes professions… Le risque de perte d’information augmente si toutes les équipes changent de garde en même temps).
En réalité, tous les médecins qui pourront potentiellement avoir un rôle durant la garde doivent être présents – et ceci inclut le cadre qui effectue une journée administrative mais qui peut potentiellement devenir un piquet « activé ». Du côté infirmière, l’infirmièr(e) responsable de garde doit être présent(e). Elle doit aussi transmettre les informations importantes qu’il ou elle aura acquises lors de la transmission infirmière et noter des choses importantes à transmettre à son équipe après le rapport. A noter, dans certains hôpitaux, l’infirmière responsable/cadre s’occupe également de la gestion des lits ; si ce n’est pas le cas, il est important qu’un representant de la gestion des lits soit présent à ce colloque.
Débuter avec le patient à risque vital
La NASA a développé un concept, le bottom-lining, qui suggère que les informations importantes doivent être transmises de prime abord. Dans la transmission médicale, il s’agit du patient le plus important/le plus difficile/celui qui peut rapidement pécloter – en effet, si le sujet le plus grave est discuté en premier, l’équipe de jour pourra réagir rapidement s’il se passait quelque chose pendant le colloque (ex : un interne peut rapidement allez voir pendant que le reste de l’équipe écoute le reste de la transmission). Ceci s’applique également pour nos collègues infirmiers.
Les 3 A.
Tire directement de la présentation Chris Ricks, les 3 A résument ce qui doit être dit pour chacun des patients lors de la transmission.
- Administratif: qu’est ce qu’il reste à faire/qu’est ce qui est en attente de résultats.
- Anticipation: prévoir un plan de prise en charge à moyen long terme. (ex: la cardio est déjà prévenue – si les Trop sont positive, ad rappel Cardio + Coro/Soins, si négative, ad RAD avec consultation en cardio ambulatoire)
- Action: voici ce que vous devez faire (feuille d’ordre, médicaments, place à trouver)
La transmission doit être faite oralement par le médecin directement responsable (interne, assistant) avec un addendum en FIN de transmission devant TOUTE l’ équipe (ne pas interrompre le collègue) si nécessaire par le chef de clinique.
Répéter les actions clés (et les documenter)
Ce point est facultatif mais parlant d’expérience, les 20 secondes nécessaires où l’assistant/interne répète à tous les points clés a déjà permis d’éviter des erreurs. Dans tous les cas, le cadre au PC devrait avoir tout noté dans la note de transmission dans le dossier médical (ex: Transmission du matin – COPD décompensé, Rx/Labo en attente, Culture+Ag urinaire envoyés, CoAmoxi+Levoflox reçu à 6h00, CURB 65 >3, ad SI a 9h15 lit 3, tel infirmier avant transfert).
Visite post-transmission
Il est désormai inacceptable de ne pas intégrer le patient dans ses soins et les décisions médicales. Nous devons oublier l’époque où le patient attend sans savoir ce qu’il se passe. Dés lors, il est important de passer devant chacun des brancards avec l’équipe de jour et l’équipe de nuit (assistant responsable et les CDC), de vous présenter et d’informer le patient de sa condition actuelle ainsi que sa future prise en charge.
Bibliographie
- Federal Aviation Rules 121.542 / FAR 135.100–Flight Crew Member Duties.
- Fore AM, Schulli GL, Albee D, Neily J. Improving patient safety using the sterile cockpit principle during medication administration: a collaborative, unit-based project. Journal of Nursing Management. 2013; 21: 106–111.
- Ornato JP, Peberdy MA. Applying lessons from commercial aviation safety and operations to resuscitation, Resuscitation. 2014; 85 (2): 173-176
- Westbrook J, Coiera E, Dunsmuir W, et al. The impact of interruptions on clinical task completion Qual Saf Health Care 2010 May; 19:284-289.